lundi 12 décembre 2011

Au fait, qu’est-ce qu’on fête ?


lundi 12 décembre 2011, par Ndimby A.

Officiellement, Antananarivo a eu droit à un feu d’artifice géant et à un podium pour fêter la Quatrième République. Mais la vraie raison, c’était pour marquer la semaine durant laquelle Monsieur Rajoelina a été reçu par le Président Sarkozy au Palais de l’Élysée. Le régime hâtif jette le peu d’argent public disponible par la fenêtre en faisant feu de tout bois dans des artifices inutiles : comportement immature, choquant, et infantilisant pour le peuple. Quelle incohérence de voir quelqu’un qui a fait un coup d’État en fanfaronnant le principe de souveraineté nationale, pour montrer ensuite tant de joie enfantine et de fierté d’avoir été reçu par le Président de l’ancienne puissance coloniale. Mais là encore, dans cette question de souveraineté nationale, et pas plus qu’en matière de sauvegarde des intérêts nationaux, de la démocratie et de la bonne gouvernance, Andry Rajoelina n’a jamais été capable de dépasser le stade des effets d’annonce.
De plus, le feu d’artifice de ce week-end pour fêter la Quatrième République a été organisé dans un contexte tout à fait inapproprié, avec les événements qui se sont déroulés à Toliara vendredi dernier. Des policiers y ont assiégé la prison pour réclamer la libération d’un des leurs, emprisonné après avoir été condamné par le tribunal à 5 ans de prison pour avoir vendu son arme à des bandits. Les actes de violence perpétrés par ces policiers dans leur rébellion ont entraîné le décès d’un magistrat, ce qui a mis le Syndicat des magistrats en grève. Pendant ce temps, RFI annonce que le policier serait libéré ce lundi par le Ministère de la justice. Telle est donc cette Quatrième République qui a droit à des feux d’artifice : celle d’un État défaillant dans lequel les actes de rébellion contre l’autorité officielle se multiplient ; où ce sont les mutins qui obtiennent raison ; et où ce sont les trafiquants d’armes qui se permettent d’ouvrir leur grande gueule.

Panem et circenses

« Du pain et des jeux de cirque » est une formule connue depuis l’époque des Romains pour anesthésier la capacité d’analyse, voire de réaction du peuple. Le seul problème, c’est qu’à Madagascar, il y a de plus en plus de jeux de cirque, et de moins en moins de pain. Amuser la foule ; dépenser de l’argent qui aurait été utile ailleurs en période de crise ; jeter de la poudre aux yeux avec des podiums et des feux d’artifice pour faire oublier le marasme économique dans lequel nous a plongés le coup d’État : cela est une décision tout à fait conforme à une gouvernance de DJ, et représente une insulte jetée à la face des Malgaches qui souffrent de cette crise née de l’ambition débridée de Rajoelina. Mais effectivement, cela ne concerne pas ceux qui peuvent acheter des Hummer ; exporter en douce des containers de bois de rose ; acheter des villas de luxe à Madagascar et à Maurice ; et racketter tout ce qui bouge à tous les niveaux. Normal donc que les fozacrates fassent la fête et tirent des feux d’artifice. Mais ils auraient au moins dû avoir la décence d’attendre le prétexte de Noël, au lieu de se précipiter hâtivement sur un motif bidon. Mais étaient-ils capables d’agir autrement ? On ne va pas s’attendre à ce qu’un cactus donne naissance à des kiwis.
D’ailleurs, pour en revenir au prétexte officiel qui serait le premier anniversaire de la Quatrième République, je serai assez intéressé qu’un griot hâtif m’explique ce que l’on fête vraiment. Le Chef d’État est toujours de transition ; le Gouvernement d’Union nationale (le vrai, pas celui du Camille qui se prétendait vital pour la vie de la nation) n’est en place que depuis un mois ; le Parlement vient d’être recomposé avec des parlementaires nommés et non pas élus ; et il n’y a pas de perspectives d’élections avant le second semestre 2012… Conclusion : quelque part, c’est la transition vers la Quatrième République qui commence enfin, et certainement pas cette nouvelle version de la République. Un an après ce référendum constitutionnel du 17 novembre 2011 que le Comité national d’observation des élections (CNOE) a par ailleurs qualifié de « pire élection qu’il ait eu à observer », aucune institution de la Quatrième République n’est en place. Et « on » se permet de faire un feu d’artifice ?
Maintenant, pour parler du prétexte officieux, qui est l’accueil du putschiste de l’Océan indien au Palais de l’Élysée, et son corollaire qui est la reconnaissance internationale, ce sont sans doute des faits politiques majeurs, n’en déplaise à ceux qui continuent de refuser d’avoir les yeux en face des trous. Ils vont en effet bâtir une tendance internationale de plus en plus favorable au régime de transition. Le Conseil pour la paix et la sécurité de l’Union africaine a ouvert le bal en exprimant jeudi dernier « son intention de lever la mesure de suspension de la participation de Madagascar aux activités de l’Union africaine (…) », et en demandant à la communauté internationale et aux partenaires bilatéraux et multilatéraux d’appuyer les institutions de transition de Madagascar. La communauté internationale qui n’attendait que ce signe de dégel des organisations africaines, ne va pas se faire prier deux fois. Sans activités d’aide au développement, les organismes oeuvrant dans ce domaine ne peuvent justifier leur présence, et les chefs de missions diplomatiques ne peuvent faire ce qu’ils aiment : parader devant la presse et se faire prendre en photo à Iavoloha ou Mahazoarivo, pour donner l’impression qu’ils sont des gens importants.
Il y a un an, dans « Réalisme amer », votre serviteur lançait un avertissement : « une partie de la communauté internationale se prépare à franchir un pas pour considérer le référendum comme un fait acquis malgré ses lacunes, et appuyer les élections restantes, avec en contrepartie un certain nombre de conditions. (…) Cela est l’illustration parfaite de la technique de « la carotte » et « du bâton » (…). Surtout que parmi les carottes, il y a quelque chose qui va énormément plaire à Andry Rajoelina : le droit de représenter Madagascar sur la scène internationale, autrement dit d’aller parader dans les sommets internationaux pour être pris en photo avec Obama, Medvedev, Sarkozy, et se croire enfin devenu un grand de ce monde ». À chacun de prendre le recul avec ce qui s’est passé depuis ces lignes.
En tous cas, depuis 2009, les bidasses hésitent de moins en moins à montrer que leurs kalachnikovs leur servent de cervelle. Les affaires de location d’armes de guerre impliquant des membres des forces de l’ordre ne cessent de défrayer la chronique. Question pour les griots hâtifs : quel est celui qui a amplifié le désordre dans la caboche des bidasses, en faisant organiser la mutinerie du CAPSAT, et en pérorant dès la fin du mois de janvier 2009 que désormais, ce serait lui qui commanderait aux militaires et aux policiers, alors qu’il y avait encore un pouvoir légitime et légal en place ? De la mutinerie du CAPSAT en mars 2009 à celle des policiers du commissariat de Mahamasina il y a quelques semaines, jusqu’à ces événements de Toliara, l’autorité du Grand Hâtif sur les forces de l’ordre tient de la farce. C’est le retour de la Loi de la jungle, grâce à laquelle règnent les détenteurs des armes : la démonstration du failed state anticipé dans l’éditorial du [22 octobre 2009-12931] se fait jour après jour. Car un failed state, c’est tout simplement un État qui n’arrive plus à faire respecter son autorité, ni à fournir les prestations auxquelles les citoyens ont droit et pour lesquelles ils payent des impôts ou des factures. Cela va de la sécurité à la fourniture de l’électricité et de l’eau potable. Et pendant ce temps, les groupes mafieux proches du pouvoir s’en donnent à coeur joie.
Ainsi, alors que les délestages se marient au quotidien avec les actes de banditisme, Andry Rajoelina a l’outrecuidance d’organiser des feux d’artifice. Mais finalement, rien d’étonnant à cela : quand un DJ arrive à s’imposer à la tête de l’État par la force et à s’y maintenir par la répression, on ne peut s’attendre à rien d’autre qu’à des spectacles et du théâtre, afin de maquiller la réalité derrière des actes superficiels et des feux qui méritent leur appellation d’artifices. La gestion de l’État devient alors une tragi-comédie quotidienne.
Mais apparemment, la situation dans laquelle le régime hâtif a plongé les Malgaches ne semble pas gêner plus que cela la communauté internationale, qui s’apprête à avaliser cette farce. Par conséquent, il est utile de rappeler ceci à Nicolas Sarkozy et son suppôt Jean-Marc Châtaignier, et de manière générale aux apparatchiks de l’Union africaine, de la SADC, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, de l’Union européenne et des autres pseudo-garants de l’ordre international : c’est une administration défaillante, marquée par les trafics, la corruptions et l’incompétence qu’ils s’apprêtent à cautionner par leur reconnaissance aveugle, motivée non pas par la conviction, mais par la lassitude. Car sans doute, le principal message de l’accueil de Monsieur Rajoelina à l’Élysée est bien un encouragement pour que le DJ persévère dans ses erreurs et ses bêtises. Alors, il ne faudra pas faire semblant de s’étonner si les bricolages foireux de cette sortie de crise forcée ne font que planter les germes de la crise suivante.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire


Le GTT INTERNATIONAL, collectif de la diaspora malagasy, dont le siège est à Genève (CH), poursuit un double objectif: la restauration de l'Etat de droit et le rétablissement de la Démocratie à Madagascar. Il prône et oeuvre pour la liberté d'expression, la prise de conscience citoyenne et la mise en place d'une vraie démocratie dont l'exigence première est la tenue d'un processus électoral inclusif, libre et transparent ".