samedi 19 janvier 2013

Madagascar, une démocratie en péril : honni soit qui « Mali » pense

par Jacques Brouillet*
D.R.

La France et les Français sont certes préoccupés par des questions d’actualité graves, telles celles concernant le Mali ou Le Mariage pour tous.
Il y a cependant bien d’autres domaines pour lesquels le relai des media semble insuffisant alors que les enjeux sont tout aussi inquiétants. Ainsi, en est-il de la situation de Madagascar qui s’enlise  depuis 4 ans dans une dérive institutionnelle alarmante et largement ignorée, alors qu’il s’agit d’une ancienne colonie a l’égard de laquelle nous ne pouvons rester indifférents.
Certes, Louis de Courcy vient de donner aux lecteurs de La Croix, le 7 janvier dernier, une information sur  la  situation économique tragique de l’Ile de Madagascar, qui appelle des précisions sur l’environnement politique… Ainsi, depuis quatre ans, ce pays n’a connu aucune élection !  Il vit dans un blocage politique complet, résultant surtout de la prolongation indéfinie de la HAT, haute autorité de transition, instaurée à la « hâte, début 2009 et donnant l’illusion   d’un  Etat  de  droit  grâce à  un referendum  sur une nouvelle constitution, tardivement organisé en novembre 2010. Ce dernier a battu des records d’abstention qui devraient suffire à le discréditer, même si un résultat de  90 %   nous  aurait sans doute également laissés sceptiques !
Par la suite une « feuille de route », conçue en accord avec la SADC, a tracé la voie vers une sortie de crise et facilité la formation d’un gouvernement plus consensuel. Mais la situation n’est toujours pas débloquée. Elle s’aggrave au contraire, laissant présager le pire.
Depuis 2009, la justice, les finances, l’armée, l’appareil gouvernemental sont sous la coupe de personnages ambigus, lancés tels un TGV avec un jeune aventurier autoproclamé Président de la HAT (soutenu dit-on par la France et l’Eglise catholique  ?) contre l’ancien Président élu, protestant, lié à l’Afrique du Sud et empêché de revenir dans l’Ile, au grand dame de ses partisans et d’une large majorité de l’opinion. Ceux-ci manifestent chaque jour pacifiquement dans une enceinte privée de la capitale. La confusion règne partout entre le domaine des affaires et l’arène politique. Cette situation sert, comme d’habitude, les intérêts d’une minorité  de nantis, mais a des conséquences économiques et sociales dramatiques pour l’ensemble de la population. L’article de La Croix indique bien les chiffres d’une paupérisation accrue, la dégradation des équipements et des services publics. Il aurait pu citer aussi le boum anarchique de l’immobilier, le pillage des ressources naturelles (trafics de bois de rose ou autres, multinationales extrayant des minerais en polluant l’environnement)  et le délitement accéléré des institutions, locales, régionales et nationales, gangrenées par une insécurité et une corruption généralisées.
Pour en revenir au blocage politique, il a des causes très objectives qu’il convient de rappeler brièvement à nos concitoyens, dès lors qu’elles concernent une ancienne colonie française, dont l’avenir ne peut pas nous laisser indifférents, en raison même de notre passé et de nos enjeux communs. Toute remonte au coup de force de militaires putschistes proches de l’Amiral  Ratsiraka,  le 17 mars 2009 à l’Episcopat, siège de la CEM (conférence des évêques de Madagascar), à l’occasion d’une médiation organisée par le FFKM (conseil des Eglises chrétiennes de Madagascar). Après quoi le maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, suite à de nombreuses manifestations violentes contre le Président Marc Ravalomanana, parvint à obtenir la destitution  de ce dernier, qui a du se réfugier en Afrique du Sud. Les circonstances de ces évènements tragiques ne sont pas toutes éclaircies. Cependant ces manifestations étaient dirigées contre  un président régulièrement  élu ;  les pillages et incendies dans toute l’Ile étaient ciblés d’abord contre les intérêts du groupe agro-alimentaire TIKO, fondé et dirigé par Marc Ravalomanana. Il ne s’agissait pas de foules en colère, mais de groupes orchestrés dans un dessein précis. La fusillade du 7 février 2009 devant le palais d’Etat d’Ambohitsorohitra, qui a fait une trentaine de morts, est sujet à polémiques. L’un des témoins les plus autorisés indique aujourd’hui de manière claire, au risque de sa vie, que les tirs ne provenaient pas du palais, d’ailleurs inhabité depuis quelques temps, mais de milices privées postées en embuscade aux alentours ; il cite les vrais instigateurs de la tuerie…
En outre, pendant quatre ans se sont multipliés arrestations et détentions arbitraires, jugements sans fondements juridiques, dont a même été victime un éminent juriste malgache, ancien Vice-Président de la CIJ. Le simulacre du procès de Ravalomanana, « prouvant » en son absence sa responsabilité directe dans la tuerie du 7 février 2009 en est un exemple flagrant. Les médias sont bâillonnés ou sous haute surveillance. Cependant, il y a plus grave. Les évènements de l’automne dernier dans le Sud de l’Ile, dénoncés par Amnesty International, annoncent une  dérive  dangereuse. Sous prétexte de contrer un mal endémique, le vol de zébus,  l’armée  est intervenue dans des villages, pillant, détruisant, violant, multipliant les exécutions sommaires au mépris de toutes les règles des droits humains. Ces faits sont révélateurs d’un pouvoir qui s’est installé par la force, contre le droit et qui s’y maintient depuis quatre ans de la même manière, au risque de fragiliser une société marquée par le respect des ancêtres et attachée à la non violence. Elle est désormais profondément divisée et traumatisée, livrée au banditisme et à la paupérisation.
Des instances nationales et internationales ont tenté de faire dialoguer les parties en présence. Des accords ont été signés, mais pas vraiment appliqués, de part l’unilatéralisme récurrent de la HAT. La dernière étape voudrait amener les deux principaux protagonistes à se retirer de la candidature aux présidentielles, annoncées pour le mois de mai prochain. Si Marc Ravalomanana a accepté cette recommandation, Andry Rajoelina ne l’a toujours pas fait, tout en se comportant à l’évidence comme le candidat providentiel. On peut s’interroger en outre sur la capacité des autorités de fait à préparer des élections transparentes, puisqu’elles sont issues d’un  coup  de  force  militaire !   Les listes électorales et la mise en place de la logistique de cette élection ne font pas l’unanimité. Beaucoup invoquent maintenant l’avènement d’une transition nouvelle incontestée, présidée par une personnalité intègre et compétente, reconnue aux niveaux national et international, qui serait une garantie pour l’organisation du processus électoral et la refondation de la nation sur des bases pérennes.
Il semble, dès lors, que le FFKM ait une carte à jouer, pour autant que le veuille bien la partie catholique, réputée proche de la HAT. En tout cas on ne peut que l’espérer, en dépit des fortes oppositions internes qui ont discrédité cette institution œcuménique ces dernières années et compromis son influence. On peut souhaiter aussi que la France manifeste davantage son soutien à ceux qui œuvrent sincèrement pour sauver une démocratie en péril. Il faut sortir maintenant de l’ambigüité et du double langage qui font  le lit de la crise malgache. Est-ce possible, dans un pays où traditionnellement toute vérité n’est pas bonne à dire ? L’histoire nationale de Madagascar est faite de retours aux sources et d’étonnants rebondissements, qui devraient inspirer tous les vrais acteurs d’une sortie de crise, à condition que la priorité soit laissée au dialogue (le fihavanana), non à la force des armes et de ces monstres froids que sont les Etats (Vatican compris), dont la raison peut confiner aux pires dénis de justice.
Mais je  voudrais conclure sur une  note optimiste, confiant dans « le bon sens du peuple malgache  » (on prête ce jugement à Jacques Chirac).
Spectateur extérieur, nullement mêlé au grand débat politique qui agite la Grande Ile, la SADC et diverses instances internationales, je fais le constat suivant, en dehors de tout parti pris : Madagascar est dans une impasse, qui invite à changer les aiguillages pour ne pas courir à la catastrophe et remettre sans plus tarder, le cap dans la bonne direction, attentif cette fois au « moramora  malagasy ».
L’histoire est faite de retournements spectaculaires, qui sont le charisme des grands hommes d’Etat. De Gaulle en est un exemple illustre. Bien des noms pourraient sûrement être cités dans le cas malgache. La voie la plus sûre de la politique est loin du sectarisme ou des certitudes partisanes, mais dans le rassemblement, autre mot cher à la fois à de Gaulle et à Jaurès, cites comme références pragmatiques par Georges Pompidou. Ce serait sûrement une vraie porte de sortie pour la présente crise malgache.
Encore faudrait-il que l’Etat Français, et ses citoyens mieux informés, expriment davantage leurs attentes dans ce domaine
« Etre capable dindifférence cest être coupable de complicité » (1)
Note :
1 – « Du Droit d’ingérence au devoir de tolérance » – « Editions de l’Aube J. Brouillet  1999  »
* Jacques Brouillet est avocat au barreau de Paris



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Le GTT INTERNATIONAL, collectif de la diaspora malagasy, dont le siège est à Genève (CH), poursuit un double objectif: la restauration de l'Etat de droit et le rétablissement de la Démocratie à Madagascar. Il prône et oeuvre pour la liberté d'expression, la prise de conscience citoyenne et la mise en place d'une vraie démocratie dont l'exigence première est la tenue d'un processus électoral inclusif, libre et transparent ".