La liberté d’aller et venir est une composante de la liberté
individuelle et elle est inhérente à la personne humaine. Ce droit est consacré
par le Pacte international sur les
droits civils et politiques (article 2.1.2 et 12) lequel Pacte a été régulièrement
ratifié par Madagascar le 21 Juin 1971, et conformément à ce traité, la liberté
d’aller et de venir fait partie intégrante de sa législation. La liberté
d’aller et de venir est un droit situé au sommet de la hiérarchie des normes
juridiques et a une valeur constitutionnelle. L’article 137 alinéa 2 de la
Constitution malgache le souligne d’ailleurs en stipulant que « les
traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur
publication une autorité supérieure à celle des lois… ».
Le Pacte international sur les droits civils et politiques préconise à
ce sujet que nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son
propre pays. En outre, l’Etat devra garantir que toute personne,
dont les droits d’aller et de venir ont été violés, disposera d’un recours
utile alors même que la violation d’un tel droit aura été commise par des
personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles (article 2.3).
Madagascar, signataire de cette convention internationale s’est engagée
à respecter ce droit et privilège du citoyen à travers sa réglementation. L’article 10 de la Constitution malgache garantit ce droit en reprenant les termes de la Constitution
antérieure en énonçant que « Les libertés d'opinion et d'expression, de communication, de presse,
d'association, de réunion, de
circulation, de conscience et de religion sont garanties à tous et ne
peuvent être limitées que par le respect des libertés et droits d'autrui et par
l'impératif de sauvegarder l'ordre public. ».
Madagascar doit donc permettre dans la pratique à quiconque de se
déplacer librement sans contrainte et sans l’autorisation du Gouvernement.
La liberté d’aller et de venir comprend cependant des restrictions
qui doivent être justifiés d’une manière légitime :
- en cas de détention régulière
(emprisonnement; mesure d’interdiction de séjour ; contrôle judiciaire).
- constituent également une
restriction à la liberté d’aller et venir, les mesures de police prises en vue
de la prévention ou de la répression des troubles causés à l’ordre public.
Sur le cas de
Lalao Ravalomanana : il y a eu une atteinte grave et manifestement illégale contre la
liberté fondamentale d’aller et de venir
1) La liberté
d’aller et de venir est le principe
Selon les OBSERVATIONS GENERALES n°
27 du Comité des droits de l’homme 1999 sur l’article 12 concernant la liberté
de circulation, en aucun cas un individu ne peut être privé arbitrairement du
droit d'entrer dans son propre pays. « La notion d'arbitraire est
évoquée dans ce contexte dans le but de souligner qu'elle s'applique à toutes
les mesures prises par l'État, au niveau législatif, administratif et
judiciaire » ; comme l’a fait justement remarquer l’expert juriste
Imbiki Anaclet, « toute mesure normative, législative ou règlementaire
générale ou individuelle tendant à interdire l’entrée d’un citoyen malagasy à
Madagascar, pour quelque cause que ce soit serait anticonstitutionnelle ».
« Le Comité
considère que les cas dans lesquels la privation du droit d'une personne
d'entrer dans son propre pays pourrait être raisonnable, s'ils existent, sont
rares. » Ce qui englobe le fait que le retour de Lalao R. au pays
entraînerait des débordements n’est pas un motif raisonnable comme l’entend le
Comité des droits de l’homme, et même si l’on devait à la rigueur, considérer qu’il s’agit d’un motif
raisonnable, ce motif n’est pas prouvé
et est dénué de tout fondement.
2) Sur l’arbitraire des actes de l’Exécutif
Lors de sa sortie du territoire Lalao Ravalomanana n’a
fait l’objet d’aucune mesure règlementaire (extradition ou expulsion) mais elle est partie de son propre chef. En conséquence,
elle est entièrement libre de rentrer dans son pays quand elle le veut. (Article 12
alinéa de la Consitution du 11 décembre 2010 « Tout ressortissant malagasy
a le droit de quitter le territoire national et d'y rentrer dans les conditions
fixées par loi ».) Même si elle
avait été expulsée, le Comité des droits de l’homme soutient dans ses
Observations générales précitées que « Les États parties ne doivent pas, en privant une personne de sa nationalité
ou en l'expulsant vers un autre pays, priver arbitrairement celle-ci de
retourner dans son propre pays. ».
Or l’Etat
malgache l’a privé arbitrairement de son retour au pays. Comme l’a fait
justement remarquer l’expert juriste, Imbiki Anaclet, l’instrument utilisé par
l’Exécutif, en l’occurrence le NOTAM, viole
les droits de l’homme et est manifestement anticonstitutionnel et illégal.
Il est illégal de décider un NOTAM contre un citoyen malgache.
Or, Lalao Ravalomanana a été refoulée une première fois le
21 Janvier 2012 quand elle était accompagnée par son mari, l’Etat argumentant
l’existence possible d’un trouble à l’ordre public, et la seconde fois le 27
Juillet 2012 quand elle a été
accompagnée par sa bru.
Lors de cette seconde tentative de rentrer sur le territoire malgache,
ses droits ont été manifestement violés; elle a été refoulée comme un vulgaire
malfaiteur; sa bru a même subi des voies
de fait et elles ont été réacheminées
vers une destination choisie par l’Etat expulseur contre leur gré, et tout a été fait d’une manière arbitraire.
Selon la jurisprudence française dont nous sommes tributaires en cas de
vide juridique, les voies de fait peuvent être caractérisés pour atteinte à la
liberté fondamentale d’aller et de venir et, en l’occurrence, un refoulement
non justifié aux frontières constitue une voie de fait.
Madame Lalao Ravalomanana aurait dû saisir le juge judiciaire ou le juge
administratif pour justifier de la
violation de son droit de rentrer librement dans son pays, lors de son
débarquement à Ivato. Le juge judiciaire ou administratif aurait selon la loi, statué qu’il y a eu voie
de fait et une atteinte à son droit - ce qui est le cas en l’espèce- sinon il
aurait effectué un éventuel contrôle de proportionnalité entre la nécessité de
l’atteinte à son droit et la gravité du trouble à l’ordre public. Cependant,
sachant l’état de la justice actuelle, laquelle semble être soumise à
l’Exécutif, cette saisine aurait été
vouée à l’échec. Dans le cas d’espèce elle n’avait aucune chance de
faire valoir ses moyens de défense et on peut en conclure à l’arbitraire de
l’Exécutif.
3) Sur
l’impératif de sauvegarder l’ordre public, si cela s’avérait un motif
« raisonnable » comme l’entend le Comité des droits de l’homme,
lequel motif est soulevé par l’Exécutif pour justifier l’interdiction de
rentrée de Lalao Ravalomanana sur le territoire malgache.
Or, aucune atteinte à l’ordre public n’a été prouvée.
- L’annonce de son arrivée a été faite dans la
discrétion
- Il n’y a eu ni attroupement, ni désordre, il
n’y a eu la présence que d’un petit comité d’accueil, choqué par le rude
comportement des autorités
L’on se demande, quel trouble à l’ordre public Lalao Ravalomanana aurait
elle provoqué puisque le public lui-même n’était pas au courant de son arrivée,
et même s’il l’était, y aurait-il eu véritablement trouble à l’ordre public?
Cela reste à prouver. L’Exécutif a agi sans preuve, il n’y a même pas eu ce
qu’on appellerait en droit « un commencement de preuve ». En tout
cas, en l’espèce, les arguments de l’Exécutif ne sont que supputations de sa
part, et amènent à penser que peut-être d’autres raisons pouvaient l’amener à
agir ainsi envers elle. Cette absence de trouble à l’ordre public est d’autant
plus prouvée par le fait qu’elle réside actuellement à Madagascar, et depuis qu’elle
est arrivée, sa présence n’est source d’aucun trouble à l’ordre public.
4) Sur les conditions d’éligibilité de Lalao Ravalomanana à la candidature
présidentielle
Une
question préalable se pose : celle de l’existence juridique d’une nouvelle
constitution installant normativement une IVème République. En effet, lors du
coup d’État du 17 mars 2009, la constitution de la IIIème République n’a été
que suspendue. Par la suite, afin d’asseoir juridiquement un régime de
Transition et d’assurer ainsi « le retour à l’ordre constitutionnel et à
la normalité institutionnelle », des règles transitoires suis generis,
conclues conventionnellement en vertu des accords de Maputo et d’Addis-Abeba,
auxquels s’est substituée la Feuille de Route, font office de dispositions
quasi-constitutionnelles, car de caractère strictement provisoire. Parmi ces
dispositions figurent celles interdisant aux autorités de Transition de
disposer pour l’avenir de la Nation, tant au plan interne qu’au plan
international. Ce qui veut dire que celles-ci, au surplus dépourvues de la
légitimité conventionnelle fondée sur les dispositions de la Feuille de Route
au moment où elles avaient décidé d’un référendum sur la « constitution de
la IVème République », n’étaient en aucun cas habilitées à le faire,
puisqu’une telle décision dispose fondamentalement de l’avenir de la
Nation.
Le problème se pose : ne faudrait-il pas considérer que la « Constitution
de la IVème République » ne pourrait avoir aucune existence juridique, ni
même normative. Dès lors, aucune loi organique ni aucune autre loi ou règlement
y procédant ne saurait régir les élections à venir, lesquelles doivent avant
tout être conformes aux normes et principes démocratiques fixés par les
standards internationaux auxquels Madagascar a adhérés et qui sont rappelés
plus haut.
Cependant, abstraction faite de ces considérations, si l’on considère le cas de Lalao Ravalomanana
les actes arbitraires de l’Exécutif viseraient à l’éliminer de la compétition
présidentielle en la maintenant hors du
territoire national.
En effet, la loi organique 2012-015 relative à
l’élection du premier Président de la Quatrième République prescrit en son
article 5 comme condition d’éligibilité que « Tout candidat aux fonctions du premier Président de la Quatrième République,
outre les conditions prévues à l’article 46 de la Constitution, doit résider
physiquement sur le territoire de la République de Madagascar depuis au moins
six mois avant le jour de la date limite fixée pour le dépôt des candidatures
et être domicilié sur le territoire de la République de Madagascar au jour du
dépôt du dossier de candidature …..
Si l’on considère que le refoulement de Lalao
Ravalomanana aurait été un motif raisonnable, dans ce cas étriqué à notre sens,
le raisonnement juridique est simple: Le
retour de Lalao Ravalomanana et le fait pour elle de fouler le sol malgache
démontrent sa volonté délibérée d’entrer et de résider dans son pays ; ce fait
constitue un commencement d’exécution de l’acte lequel a été suspendu par
un acte indépendant de sa volonté, en
l’occurrence l’acte arbitraire de la part de l’Exécutif.
Elle est en conséquence, considérée comme
ayant résidé depuis le 27 Juillet 2012, date à laquelle elle a foulé le sol
malgache.
Dans le cas de Lalao
Ravalomanana, elle doit d’autant plus être considérée comme « résidant
physiquement » à Antananarivo que c’est par une succession de voies de
fait et d’actes illégaux des autorités de fait – comme précédemment démontré –
qu’elle a été contrainte et forcée de quitter son domicile.
Du côté de l’Exécutif, il n’y a aucune preuve et même un « un
commencement de preuve » selon lequel sa présence aurait entraîné des débordements
5) Sur l’entrée
de Lalao Ravalomanana en territoire malgache basée sur l’entente faite avec
l’Exécutif selon laquelle elle ne ferait pas de politique
Elle a toujours respecté cet accord, n’intervenant pas dans la
politique. Sur le plan juridique, cette clause viole ses droits et a été
obtenue à l’arraché, car profitant de ce que sa mère est malade, l’Exécutif a
voulu imposer ses conditions sachant pertinemment qu’elle a le droit de rentrer
librement dans son pays. Elle en a été réduite à accepter les conditions comme
toutes autres conditions qui lui auraient été imposées d’ailleurs, pour des
raisons humanitaires.
Mais les données sont maintenant nouvelles dans la mesure où elle a été
nommée par la mouvance comme candidate aux présidentielles.
Compte tenu de ce qui a été relaté auparavant sur ses
droits
1) elle ne retournera en Afrique
du Sud que si elle le désire mais elle peut également rester si elle le
désire, car elle doit faire face à
d’importantes obligations en vue des présidentielles;
2) elle ne doit en aucun cas faire l’objet d’une expulsion, les faits
ayant prouvé qu’il n’y a pas de trouble à l’ordre public depuis qu’elle réside
au pays et il n’y aura pas de trouble public causé par sa présence au pays.
Cette constatation est renforcée par la décision de Ravalomanana qui a
annoncé son intention de ne revenir qu’après les présidentielles.
3) elle jouira des prérogatives d’un candidat à la présidentielle,
notamment en entamant prochainement sa propagande politique.
En conclusion, Lalao Ravalomanana est une citoyenne
libre et doit jouir de tous ses droits.
Toute velléité du Gouvernement de l’empêcher de jouir de ses droits se
traduira par une violation manifeste des droits du citoyen. Jusqu’à maintenant,
les manifestations politiques au Magro et la présence de Lalao Ravalomanana au
pays n’ont entraîné aucun trouble à l’ordre public.
La violation des droits de l'homme, et en l’occurrence
des droits de Lalao Ravalomanana
n'échappera pas à la vigilance du Comité des droits de l'homme auquel
Madagascar va prochainement adresser son rapport périodique sur le respect des
droits civils et politiques à Madagascar. A l'aube où Madagascar veut redorer
son blason pour obtenir la reconnaissance internationale et entrer dans le concert des Nations, il faut
éviter, plus que jamais de tomber en disgrâce aux yeux de la communauté
internationale et perdre cette opportunité pour une question d'intérêt et
d'égoïsme politique en voulant éliminer la candidature de Lalao Ravalomanana. Heureusement, le CES est là pour remettre sur
les rails, le respect des droits de l’homme et du citoyen.
Comité d’Experts Juristes
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